Les Lépreux (குஷ்டரோகிகள்)
PAA. JEYAPRAKASAM
Paa. Jeyaprakasam est un écrivain tamoul né en 1941. Dans ses nouvelles et romans il évoque souvent la vie rurale de la pointe sud du Tamilnadu. Il peint plus spécifiquement les exclus, les intouchables dont les services sont indispensables et qui pourtant sont traités avec mépris par les villageois des castes supérieures. La nouvelle traduite est la première des trois réunies sous le titre « Les lépreux », chacune raconte un cas différent d'exclusion. Les personnages principaux sont ici une fillette victime de la typhoïde et son père qui la veille. Ce dernier n'a pas d'argent pour la faire soigner à Madurai (la métropole où se touvent médecins et hôpitaux) ou même pour lui acheter les oranges qu'elle désire. Les tourments de la maladie et du confinement sont évoqués avec un réalisme tempéré par des touches poétiques.Les Lépreux
De chez l'oncle maternel, résidant à Madurai, il avait écrit au père. « Si la santé de ma petite soeur Viji ne s'améliore pas, amenez-la à Madurai. Ne tardez pas. » Un mois déjà. Une réponse aurait permis d'éviter tant de chagrins.
Parmi tous les supplices de cette fillette le plus cruel était celui-ci. Une écolière dans sa huitième année scolaire ; le corps entier torturé par la fièvre typhoïde. Emportée par les vagues brûlantes de la fièvre elle se débattait sur sa couchette ; son corps violemment secoué par les accès de fièvre se consumait à chaque seconde au point que seuls les os saillaient.
Une chambrette plongée dans les ténèbres. La lumière étant proscrite, on y avait à peine laissé filtrer une petite lueur à travers les barreaux de la fenêtre. On avait interdit à la fillette de sortir de la maison. Son père, les yeux pleins de larmes, lui avait dit : « Ma chérie, si tu sors, la fièvre typhoïde augmentera. »
Peine de prison en violation de l'âge ; certains jours la fenêtre était grande ouverte ; alors, elle écarquillait les yeux pour contempler, par-delà les barreaux, la course des nuages de mousson au-dessus de la cour extérieure. Elle tenait des propos silencieux aux nuages. Très vite, une belle langue s'était créée entre elle et les nuages de mousson.
Elle désirait ardemment poser un pied dehors pour marcher dans ce monde où alternent soleil et pluie.
Un matin, elle s'est levée puis s'est rendue dans la cour intérieure où elle a vu la terre trempée de pluie nocturne ; elle a la certitude que le ciel, après une longue étreinte avec la terre au cours de la nuit, est allé se reposer et il ne reste plus aucune étoile dans le ciel.
Elle peine à marcher. Le corps épuisé par l'immobilité paraît flotter dans l'air tandis qu' elle avance. Il y a si longtemps qu'elle n'a pas marché sous les nuages, qu'une averse ne l'a pas trempée . Vijaya se dirige vers le jardin potager. Tomates et plantes, nettoyées par la pluie nocturne, reluisent et la regardent. La fillette effleure ces délicieuses plantes.
Elle a des doigt maternels ; tout ce qu'elle caresse ressent un immense soulagement.
Depuis un mois, elle a perdu tout contact avec les plantes ; ce sont ses enfants à elle, capables de comprendre le langage de ses doigts au seul toucher ! Le cœur de la fillette bondit de joie à la vue des plantes revigorées par la pluie de la nuit.
« Vijaya, tu ne dois pas aller dehors. Dès que tu seras guérie de la fièvre typhoïde, nous irons partout. Viens te coucher. » Le père l'a soulevée telle une plume de paon et l'a allongée avec douceur sur le lit.
« De quoi as-tu envie, ma fille ? » demande le père.
« J'ai envie de manger en grande quantité et de tout, papa. »
« Tu mangeras ; pour toi, Vijaya on achètera de tout ; dès que tu n'auras plus de fièvre, on achètera plein de bonnes choses. »
Le père est son unique protecteur. Quand elle l'aperçoit dans cette pièce obscure, elle l'implore du regard : « Emporte-moi » ; depuis un mois, elle n'a goûté aucun aliment solide, elle en est réduite à absorber de la nourriture liquide, elle a faim et soif de tant de plats divers et ses yeux avides, enfoncés dans les orbites, réclament au père dès qu'il entre : « Qu'est-ce que tu m'apportes ? »
Le pandit Chellaya de Lakshmipuram la soigne. C'est un homéopathe. Dans ce foyer, il avait d'abord soigné la mère de la fillette. Mais après l'enterrement de sa patiente, il n'avait pas osé revenir dans cette maison. Cependant, à part lui, il n'y en a aucun autre dans les hameaux voisins. Le père est tout pour cette enfant privée de mère et d'amour maternel depuis l'âge de trois ans.
֎
Un jour très sombre ; sur la couche gisent les membres inertes, l'accès de fièvre disloque le corps d'où s'échappe une plainte à briser le cœur.
Près du lit que les ténèbres envahissent peu à peu, est assise une autre forme recroquevillée par la douleur. Le père entrevoit à travers la courbe de ses mains une créature informe à la place de sa fille.
Sur le seuil de la chambrette se tient l'oncle paternel. Sans même se retourner le père sait que son frère aîné est là. Dos tourné, toujours assis, le père demande : « J'ai besoin de quinze roupies pour acheter à l'enfant des oranges, des médicaments. Je n'ai plus d'argent. »
Aucune réponse de l'oncle. Peu après elle claque sèchement : « Et moi alors, est-ce que j'ai de l'argent ? ».
Le père ne s'est pas tourné vers l'oncle paternel. Sans se retourner, il digère toute la sécheresse de cette réponse. Il comprend que cinquante ans de liens du sang ont volé en éclats ; de manière inattendue la colère éclate dans la voix du père. A ce son, la fillette qui lutte sans merci pour la vie sursaute de surprise.
« Tu prêtes avec intérêts à tout le village, qu'est devenu cet argent ? Tu as touché cinq mille roupies de la vente de l'usine, tu achètes et revends des maisons, où est passé l'argent ? » hurle le père. Brûlant de colère, il tremble de tout son corps.
Côté adverse aucun signe. L'oncle déclare d'une voix atone : « Il ne m'en reste rien. J'ai tout investi dans l'achat de vaches laitières pour créer mon entreprise. Je n'ai pas encore eu de retour sur investissement. »
Le père pousse un cri de rage. « Le blanchisseur t'a rendu cent roupies ce matin, où est cet argent ? »
« Là, tout de suite, je n'ai pas d'argent. Si j'en avais eu, est-ce que je n'en aurais pas donné ? »
Les yeux débordant de larmes, la voix frémissante de sanglots, le père dit : « Mon enfant étendue là lutte pour survivre. Peux-tu, oui ou non, me donner de l'argent ? »
Cette affaire de terrains et d'héritage est un sujet très sensible depuis toujours. Oubliant que le même sang coule dans leurs veines, ils se comportent tels deux ennemis. Aliénation ? Ils s'injurient comme des gamins.
Le coeur fermé autant que les mains qui enserrent sa bourse, l'oncle quitte la maison sans la moindre manifestation de compassion.
Les yeux embrasés, le père hurle : « Maudit sois-tu, sale type. Tu tortures mon enfant, tu ne connaîtras jamais le bonheur, sale type. »
Le groupe de gens dans la rue et l'oncle qui sort de la maison entendent distinctement les malédictions du père.
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On avait sorti le corps de la fillette de la pièce où les rayons de lumière ne pénétraient pas, où le souffle s'était éteint. Aujourd'hui, ce corps confiné entre les quatre murs d'un ténébreux territoire reçoit enfin l'air du monde extérieur. Corps enflé, ouvert en fleur par la prolifération de la maladie depuis deux mois. La peau à peine touchée se desquame de partout comme celle du concombre trop mûr.
On a déposé le corps, petite feuille de bananier, sur une large feuille de bananier enduite d'huile. On l'a entouré d'autres feuilles de bananier liées bien serrées. Les yeux largement ouverts. Yeux ouverts dans l'attente du père, dans l'attente des oranges tant désirées. Bras ouverts déployés comme des ailes qui, à peine le père paraissait sur le seuil, suppliaient : « Emporte-moi », et maintenant disposés à l'identique.
Ni berceau ni civière mortuaire, une enveloppe de feuilles de bananier suffit. Nul besoin de berceau ni de civière mortuaire pour celle qui était entre l'âge de la fillette qui aimait se laisser mouiller par les gouttes de pluie de mousson en se promenant et celui de la toute jeune fille qui laissait s'épanouir en elle de doux rêves. De même que la fleur du bananier entourée de feuilles se situe au bout du régime de bananes ainsi l'oncle maternel Sivaguru portait la dépouille dans ses bras.
Tandis que passe le petit cadavre, la rue se remplit de femmes en pleurs pressant sur leur bouche l'extrémité du pan du sari. Tout à la fin de ce navrant cortège funèbre marche aussi l'oncle paternel.
- Traduction par Chantal Delamourd
- Publié en 1977 dans le magazine Kannadasan Literary Monthly
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